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RSE : Retour aux sources

  

Responsabilité Sociétale des Entreprises : de quoi parle-t-on ?

 

Quand le « Bien Commun » prévalait sur l’individu

 

Au 18ème siècle, les organisations étaient créées par le Roi via l’émission d’une charte donnant aux ayants droit le monopole sur une activité ou un territoire, avec une mission précise (construction d’un canal, commerce des épices) et dans l’intérêt de la monarchie. Les chartes étaient limitées dans le temps et le Roi détenait le pouvoir de révoquer la charte ou mettre en prison les ayants droit si l’organisation n’opérait pas conformément à la mission convenue et à l’ordre établi.

 

En cela, le Roi préfigurait un objectif de RSE avec la volonté de préserver les matières premières et l’équilibre social, la gestion des ressources et des considérations sociales étant centralisées. Mais l’opposition à cette autorité suprême a ensuite motivé les révolutions de la base constituée d’individus voulant exister en tant que tels.

 

La montée du libéralisme a tout d’abord eu un impact politique, en jouant son rôle dans les révolutions et l’établissement de Républiques à la fin du 18ème siècle avant de s’étendre à la sphère économique. Adam Smith affirme alors que l’intérêt général découle de la somme des intérêts individuels, évoquant ainsi la « main invisible » du libre marché.

 

Quand seul l’individu comptait

 

Le système des chartes a cependant perduré jusqu’au 19ème siècle au travers de législateurs qui attribuaient des chartes à durée limitée aux organisations,  afin de garantir que les objectifs servaient l’intérêt de tous. Le corollaire en a été des processus administratifs lents, bridant l’entreprise individuelle.

 

En 1811, suite à  la loi « Embargo Act » (1807) interdisant tout commerce international à partir ou vers des ports américains, les États-Unis se sont retrouvés à court de textile et de biens manufacturés, ce qui les a poussés à repenser les façons de faire pour encourager l’entrepreneuriat. Ceci a conduit à la rédaction de la loi  « Act relative to incorporations for manufacturing purposes », comprenant deux innovations majeures :

·         la libéralisation pour permettre à un individu, ou groupe d’individus, de créer une entreprise par le dépôt d’un certificat auprès du secrétaire d’État.

·         la responsabilité limitée pour limiter la responsabilité financière des personnes physiques à leurs apports respectifs au capital de l’entreprise.

Ces deux innovations ont permis de libérer le capital, la créativité et l’innovation, donnant lieu à la révolution industrielle. Cependant, en dissociant la création d’entreprise de l’autorité d’une personne garante de l’intérêt général, la mission sociétale de l’entreprise n’a plus à être définie lors de sa création. Le profit individuel prend le pas sur le bien commun. Les entreprises opèrent dans un objectif de maximisation de leur profit, avec pour uniques responsabilités, une responsabilité économique envers les actionnaires et une responsabilité légale envers l’état.

 

Les prémices de la responsabilité sociétale

 

Suite à la Seconde Guerre mondiale, de nombreux entrepreneurs et propriétaires de grandes entreprises américaines ayant participé à l’effort de guerre (notamment production d’armes) se sont enrichis, et cela commence à poser un problème d’ordre moral à certains. La philanthropie d’entreprise connaît un regain et leurs dirigeants s’expriment publiquement sur leur conception du rôle de l’entreprise dans la société. Cependant l’opinion publique, qui depuis la crise de 1929 ne voit pas d’un bon œil les grandes entreprises, ne se satisfait pas de ces discours.

 

C’est dans ce contexte de questionnement éthique, qu’en 1949, le conseil fédéral des églises protestantes américaines sollicite son département économique pour mener une étude sur le thème de « l’éthique chrétienne et la vie économique ». Ces travaux établiront des objectifs sociaux pour l’économie : conditions de vie de qualité, progrès et stabilité économique, sécurité des personnes, ordre public, justice sociale, liberté d’entreprise, développement personnel et amélioration dans le cadre de la communauté.

 

Cela aboutira à l’ouvrage d’Howard Bowen, « Social Responsabilities of the Businessman »  (1953), considéré par les experts comme étant à l’origine du concept de la RSE moderne.

 

Bowen considère que la loi seule ne peut suffire, car elle devient dangereuse quand elle doit descendre à un niveau trop détaillé pour tout réguler. Il faut par conséquent revenir à une notion de morale individuelle et d’éthique dans les affaires, deux notions ne pouvant relever que du volontariat. Ainsi, Bowen définit la responsabilité sociale de l’entrepreneur : « elle renvoie aux obligations de l’homme d’affaire de poursuivre telles politiques, de prendre telles décisions ou de suivre telles lignes d’action qui sont désirables en fonction des objectifs et des valeurs de notre société » (Traduction de J. Igalens).

 

En 1953, dans un contexte d’après-guerre où tout est à reconstruire et où nos sociétés libérales s’ouvrent sur le monde, la chasse à la croissance et les comportements opportunistes dominent. Le concept de responsabilité sociale des entreprises de Bowen ne trouve alors aucun écho. Paradoxalement, la montée de la RSE dans la conscience collective se fera dans la deuxième moitié du 20ème siècle… en légiférant !

 

Une émergence lente et douloureuse

 

Il faudra attendre la publication de « The Limits to Growth » (1972) par le Club de Rome pour mettre en évidence les limites de notre modèle de développement : il ne peut y avoir de croissance infinie sur une planète aux ressources finies. La même année, la première conférence internationale sur le thème de l’environnement se tient à Stockholm sous l’égide de l’ONU.  Les dirigeants des pays participants adoptent une déclaration de vingt-six principes et un vaste plan d’actions pour lutter contre la pollution. C’est la première fois que l’on reconnait une responsabilité environnementale aux  organisations dans un texte international, et qu’on leur demande de l’exercer afin de garantir la sauvegarde de l’environnement. C’est le début de la prise de conscience environnementale.

 

Bien que la conscience des risques environnementaux fût alors présente avec les premières évidences rassemblées par la communauté scientifique, les conséquences étaient encore sous estimées.  Ce n’est que sous l’effet de plusieurs catastrophes environnementales à la fin des années 70 et au début des années 80 (SevesoOlympic BraveryBoehlenAmoco CadizThree Mile Island…) que l’ONU, mettra en place la commission mondiale sur l’environnement et le développement en 1983 dans le but de définir un programme de coopération internationale et pluridisciplinaire sur les problèmes environnementaux. En 1987, la commission publie son premier rapport « Our Common Future »,  également appelé Rapport Brundtland, exposant un mode de développement incluant les enjeux sociaux et environnementaux, le développement durable.

 

Le Rapport Brundtland préconise  l’implication de toutes les organisations, y compris des entreprises privées, afin de décliner les objectifs de développement durable au niveau local. Cependant, seules des lois sont passées aux niveaux international et national, les entreprises étant encore peu forces de proposition dans ce processus. Les dommages causés à la biodiversité et les émissions de CO2 se poursuivent. Ce n’est qu’en 2002 qu’une approche collaborative est envisagée avec la participation d’entreprises privées au Sommet de la Terre, à Johannesburg.

 

Il est intéressant de rappeler que ce sont également les années de structuration de l’approche SCM avec des processus de synchronisation, d’équilibrage et d’arbitrage tels  que le S&OP et les cadres d’acceptation des commandes, autant de processus visant à mieux tirer parti des ressources existantes.

 

2010 : la RSE sort enfin de sa chrysalide

 

En 2004, sous la sollicitation des consommateurs s’inquiétant du comportement des multinationales, l’ISO décide d’organiser une conférence à Stockholm dans l’optique d’entamer un travail de normalisation de la responsabilité sociétale à l’échelle mondiale.

Après 6 années de discussion avec l’ensemble des parties prenantes dans 90 pays, l’ISO 26000 voit le jour en 2010.

 

Bowen est enfin compris, car l’ISO 26000 ne vise pas à imposer mais propose un cadre de réflexion dans une approche volontaire de l’entreprise. Ce référentiel synthétise les 40 années de travaux menés, principalement par l’ONU, sur la problématique du développement et les enjeux sociaux et environnementaux. L’ISO 26000 est structurée autour de 7 grands thèmes, intégrant l’ensemble des principes du développement durable selon ses différents axes : la gouvernance de l’organisation, les droits de l’homme, les relations et conditions de travail, l’environnement, la loyauté des pratiques, les questions relatives aux consommateurs, les communautés et le développement local.

 

La RSE est aujourd’hui un concept adressé  dans la plupart des entreprises, à minima lors des reporting extra financiers. Mais qu’en est-il de sa déclinaison en actions concrètes permettant de contribuer à un réel effort de développement durable ? Comment l’approche Supply Chain de l’entreprise peut-elle contribuer à la déclinaison des objectifs affichés dans la « matrice de matérialité » de l’entreprise en actions effectives contribuant à la préservation de son écosystème ?

 

 

Dans un prochain Point of  View, nous nous proposons d’analyser l’apport des différents outils du SCM à la mise en action de la stratégie RSE dans l’entreprise.